jeudi 24 septembre 2009

Chapitre 1 : La descente vers Limoux


Petit rappel historique préliminaire
1938
Février : l’Allemagne de Hitler annexe l’Autriche
Septembre : elle annexe une partie de la Tchécoslovaquie
1939
Mars : protectorat allemand sur le restant de la Tchécoslovaquie
31 aout : pacte d’amitié avec l’URSS
1 septembre : invasion de la Pologne, conquise en 15 jours ; l’URSS occupe la moitié est du pays.
3 septembre : France et Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne ; c’est la « drôle de guerre » où, pendant que les polonais se battent, leurs alliés ne bougent pas.
1940
Avril : invasion du Danemark et de la Norvège, conquis en quelques jours.
10 mai : invasion des Pays-Bas, de la Belgique, du Luxembourg et de la France : c'est le début de mon histoire
Jamais mois de mai ne fut aussi beau qu’en cette année 1940 lorsque Hitler déclencha la guerre chez nous. De la méditerranée à la Baltique, des Balkans aux polders hollandais, le soleil, la chaleur, le joli printemps doux et serein étendit ses bienfaits sur l’Europe. Ce fut un beau temps exceptionnel dont les hommes profitèrent huit jours. En France, les petits enfants, les adolescents, les champs, les jardins entonnèrent l’hymne à la joie à plein gosier.

Mais les petits polonais, les tchèques, les autrichiens, les champs qui s’était transformés en champs de bataille, les jardins dont les fleurs garnissaient des tombes, les oiseaux qui entendaient siffler les balles n’étaient pas en état de participer à cette harmonie de la nature.

Il n’y eut que les allemands et Hitler pour profiter de ce temps splendide. La météo teutonne avait donné le coup d’envoi, les armées s’étaient ébranlées en direction de l’ouest.

Le 10 mai, à 4h00 du matin, les avions, les chars, les troupes franchissent la frontière belge.

À Bruxelles, le 9 mai au soir, il nous restait huit heures exactement pour procédé à la cérémonie de sortie de la 96e promotion polytechnique de l’école royale militaire, celle qui précédait d’un an la mienne (97 AG). Il y eut un banquet au cours duquel le général Renard, inspecteur général de l’artillerie, prononçant le discours traditionnel, nous dit qu’ « il pourrait se passer des choses graves… ». En conséquence, mes camarades et moi qui avions 20 ans, conformément à la tradition et suivant l’impulsion de la jeunesse, décidâmes d’aller profiter de cette soirée en ville.

À une heure du matin, dans un cabaret que nous fréquentions et qui attirait aussi de jeunes aviateurs, nous vîmes ceux-ci se lever et disparaître ! Ayant déjà joyeusement fêté la 96e promotion, nous traversâmes le boulevard pour une dernière étape au célèbre « bœuf sur le toit ». Il était 3h00 du matin lorsqu’un coup de téléphone, relayé par un serveur diligent, nous enjoignit de regagner l’école : nous prenons un taxi et nous présentons, un peu gris, devant nos chefs qui nous pressent de préparer nos bagages. Les miens seront faits en dépit du bon sens ; j’y entasse deux manteaux en négligeant des vêtements plus utiles !

Des autobus nous charge avec nos valises pour nous conduire Grand-Place à Roodebeek, faubourg de Bruxelles où se fait le rassemblement de toute l’école militaire. Il est 8h00 du matin et déjà des avions bombardent la ville.

Durant la journée, je retourne à l’EM vérifier le contenu de la malle qui y est restée ; elle ne pourra me suivre et, par conséquent, fera partie du butin pris par l’ennemi. Je ne retrouverai plus mes photos de famille, mon sabre et autant de souvenirs qui m’étaient chers. Je règle les comptes du bar dont je suis le trésorier et je repars en faisant un crochet par l’avenue Parmentier où habite l’oncle Charles (frère de mon grand-père), son neveu Pierrot Legrand avec sa femme et ses enfants, qui s’apprêtent sans s’en douter à devenir des réfugiés et arriveront aux U.S.A ! Pauvres réfugiés qui ont été la proie innocente et affolée des Stukas en chasse.

À ces cousins, je recommande mon frère Jacques, ma sœur adèle restés à Liège et que je ne puis atteindre faute de temps et d’un téléphone. De parents sont morts à six mois de distance, ma mère en juillet 1939, mon père en février 1940. Il aura eu le temps de déménager le camp d’Elsenborn dont il était le commandant et qui se trouvait à la frontière allemande ; les conditions dans lesquelles il vécut à ce moment-là, logement précaire, chambre glacée, eurent raison de sa santé déjà fort ébranlée par la disparition de sa femme.

Mon frère et ma sœur fuiront en vélo sur les routes de France, suivant de ville en ville bombardée la horde épouvantée des civils poursuivis et le plus souvent dépassés par l’ennemi triomphant.

Quant à moi, le 12 mai à 9h00 du matin, j’embarquais en gare du parc Josaphat à bord d’un train en partance pour Beveren-Waes. On nous loge dans un château vide situé au bord de la route par où passe le ravitaillement de la septième armée française mécanisée ; en sens contraire et sur les bas-côtés passe le flot des réfugiés hollandais. La 7e armée se dirige vers la hollande d’où elle sera chassée ; la foule épouvantée se dirige vers la frontière française qu’elle franchit, dépasse en une vague énorme et viendra mourir au pied des Pyrénées. Elle déborde des grands-routes, remplit les chemins, les fossés où culbutent vélos et charrettes, se faufile par les traverse forestière, les champs, les voies de chemin de fer, les sentiers bordés de fleurs, les menus passages où tout est bon pour se cacher des avions qui mitraillent et pour dormir au revers des fossés secs, odorants en ce merveilleux mois de mai.

Le 15, nous partons à pied pour Nieuwkerken situé à huit kilomètres. Un train s’y forme qui nous amène à midi à la gare de Gand et le soir à Furnes où nous passons la nuit. Nous dépassons ainsi cette foule en marche où se mêlent les soldats en retraite, le ravitaillement des armées, les colonnes motorisées amies ou ennemies propulsées dans tous les sens, les Citroëns coiffées de matelas, les poussettes d’enfants, les landaus chargés de bien divers, les piétons exténués encombrés de valises et de sacs.

Le 17, nous allons à Coxyde où nous débarquons pour quelques heures ; le C.I.S.L.A. (Centre d’Instruction pour Sous-lieutenants d’Artillerie) venant de Brasschaat nous y rejoint avec ses chevaux et ses canons d’exercice. On rembarque tout ce monde le même jour dans un train de wagons à bestiaux et de wagons plats. Nous sommes 40 par wagon ; nos chevaux sont plus à l’aise, ils ne sont que 8. Nous avons tous des couvertures, et moi, j’ai mes deux manteaux, mes bottes, mon uniforme et mon bonnet à floche dorée qui fera tellement envie aux petites filles du pays du soleil.

Le train va à petite vitesse de gare en gare où se suivent et se dépassent ces chenilles ferroviaires que l’instinct pousse aveuglément vers on ne sait quelle destination. Le 18 au soir nous sommes parqués sur une voie de garage entre Boulogne et Abbeville ; le 19 à midi nous passons la Somme 24 heures avant que les allemandes ne ferment le passage !

Nous roulons suivant la pente qui va du nord au sud comme tout le monde sait : Dieppe, Lisieux où un arrêt de sept heures permet aux soldats du CISIA de s’occuper des chevaux. Puis, la vitesse s’accélère : 22 mai, le Mans et Saumur, 23 mai Bordeaux puis Toulouse. Dix jours de voyage, de déambulation fantaisiste, imprévisible, au hasard des encombrements, des destructions et puis, finalement, le train s’arrête dans une petite ville inconnue, chaude et paisible, coincée dans des collines au bord d’une jolie rivière.

Notre long convoi a ralenti, a stoppé là comme un voyageur fatigué qui s’assied au bord du chemin. Il fait bon, c'est le 24 mai et le train s’est rangé le long d’un quai au milieu de la campagne, entre les vignes et les platanes de la gare endormie. Un chemin serpente au pied de la colline éclairée par la lune et bruissante de stridences nocturnes : rainettes, grillons nous donnent un concert dont nous n’arrivons pas à deviner les exécutants. C'est la pleine nuit ; tout le monde écoute, s’interroge. Maurice Denis étant de garde va aux renseignements. Il n’apprendra rien et le train s’endormira jusqu’à l’aube.

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'aime bien les récits vécus. Cela me rappelle les histoires que me contait mon Grand-père quand j'étais môme (il était pilote de chasse pendant la guerre)
    Cordialement
    A.D.O.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Merci pour ce très beau témoignage de Simone et Baudouin que j’ai très bien connus car je suis la fille aînée de Jean Mayence et filleule de Maurice Denis. Et c’est l’abbé Gilet qui a célébré mon mariage.
    Les récits de leur captivité ont jalonné ma vie..
    Aujourd’hui, âgée de 72 ans, je vis dans un village près de Limoux... et ce n’est pas un hasard... car mon père m’a fait decouvrir cette magnifique région dès mon jeune âge. J’y ai retrouvé des familles qui avaient ouvert leur maison à tous ces jeunes militaires belges.
    À chacun de mes passages à Limoux, je pense à cette fameuse 97ème promotion... Merci à eux pour leur courage.

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