mardi 29 septembre 2009

Chapitre 3 : les souvenirs de Simone H


Quant à moi, Simone H, j’étais en pension à Carcassonne où je me préparais a « sécher » un examen de physique-chimie. Encore bien que ce ne fut pas pire car, à 14 ans (presque 15), je me représentais l’état de pensionnaire comme un état plein de joyeusetés et d’impertinence. Encouragé par un père éperdu d’amour mais perdu de remords depuis que la sagesse maternelle m’avait retiré des douces mains des institutrices de Ste Germaine pour m’envoyer suivre un enseignement plus sérieux au lycée de Carcassonne, invitée à la détente et prévenue contre le surmenage intellectuel par ce père trop indulgent, je travaillais peu. Si je brillais en composition française, ce qui ne demande pas trop d’efforts, si je ne perdais pas une miette des cours d’histoire ou d’espagnol qui me passionnaient, par contre le reste du temps je rêvais et je m’amusais. Et voilà que par un effet magique de la capitulation « honorable » celle-là de la France, le 17 juin, nous fûmes en vacances un mois plus tôt que prévu.
Habituellement, c’était aux flonflons  du 14 juillet que les écoliers pliaient bagages, flambaient en chansons un livres et cahiers à l’imitation des héroïques révolutionnaires de 1789 qui brûlèrent la Bastille.
Si 40 millions de français furent capitulards et pétainistes,  je fus de ceux-là, à cet âge si tendre et sans le savoir toute à la joie de ses vacances prématurées. J’arrivais donc un après-midi à Limoux, entrai en glapissant dans la maison, jetai à toute volée mon cartable dans le couloir et me précipitai au salon où j’aperçus médusée, quatre uniformes impeccables prenant le porto avec mes parents. C’étaient les « mousquetaires » août. Et c’est ainsi que j’avais rencontré Baudouin mais je ne l’avais pas vu !! En une semaine nous fîmes connaissance mais j’étais ailleurs, en vacances, et ils ne m’intéressaient pas.
Le 23 juin : coup de théâtre : six élèves de la 97ième promotion disparaissent : Wanty, de Patoul, Neuray, Haes, Hendrickx de Teulegoed et Van Vyve. Réaction immédiate des autorités militaires belges : tous sont convoqués au Tivoli où le général Vinçotte, commandant les centres d’instruction et son adjoint le major Mercenier, héros de la guerre 1914-18 (il était patrouilleur et y avait perdu un bras) pour lequel ils avaient de l’admiration, s’adressent aux élèves des cinq promotions réunies, l’un après l’autre, sévères et catégoriques ils accablent ceux qui sont partis « qui sont des déserteurs, qui ont manqué à leur devoir d’obéissance et de fidélité ».
Depuis quelques jours, chez moi, les quatre « mousquetaires » se réunissaient pour discuter d’un projet d’évasion vers Gibraltar en bateau ; il était question de louer un canot à Port-Vendres où un pécheur avait été contacté. Ce projet fut abandonné après la semonce de leurs chefs : ils avaient raté le coche !
Le 24 juin, c’est l’anniversaire de Baudouin ; un gâteau est commandé et quel gâteau ! Dans le Larousse on trouve ceci à propos de Limoux : une petite ville célèbre pour sa blanquette et sa pâtisserie. Ce gâteau amena un cortège de bouteilles et personne n’a compté les bouchons qui partirent vers le ciel étoilé de la Saint-Jean. Baudouin ce soir-là avait 21 ans ; il perdit son air endeuillé, retrouva la joie et le pétillement de la blanquette lui donna une audace appréciée par mes 14 ans qui me gardaient encore et pour peu de temps, espiègle agaçante et naïve. Espiègle car malgré les exhortations de Victor Houillet, je refusais d’étudier physique et chimie ; agaçante, au point qu’un jour excédé, Robert Henry me traîna en vociférant dans la cave pour me barbouiller les joues de charbon ; naïve car pour fêter cet anniversaire j’entraînai Baudouin qui voulait me condamner à rester assise près de lui dans une course folle autour du jardin. C'était le jeu de la fuite, la poursuite, le prélude innocent d’une symphonie amoureuse dont le dernier mouvement est encore à écrire puisqu’à ce jour nous sommes mariés depuis 42 ans.
Voilà, dit le héros de la fête, j’ai 21 ans et vous Simone asseyez-vous là… demain je ferai l’ascension du pic de Bro. C’était là un discours tout à fait prosaïque et le lendemain, en effet, toute la promotion se mit en route.

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