vendredi 2 octobre 2009

Chapitre 6 : En voyage

Petit rappel Chronologique
10 mai 1940 : Hitler envahit la Belgique et la France
6 septembre : Le train avec la CISLA quitte Limoux
14 septembre : arrivée au camp de prisonniers de Hammerstein
13 octobre : arrivée au camp de Juliusbourg, près de Braslau
Juin 1942 : installation à Fischbeck près de Hambourg
Juillet 1943 : déménagement pour Prenzlau, entre Berlin et Stettin, où nous sommes libérés par les russes en avril 1945 et d’où nous rentrons en Belgique en juin.
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Le train à bestiaux nous attendait donc en bordure des vignes, les portes grandes ouvertes pour nous inviter à entrer, où se pressèrent nos instructeurs, notre commandant le Major Debatty, nos bagages, les friandises offertes par les familles limouxines, avec la perspective d’être ramenés en Belgique pour y être démobilisés. Dans la nuit du 5 au 6 septembre, tiède et douce, le capitaine H et Simone m’accompagnèrent à la gare ; les « appliqués » de ma promotion et quelques autres s’installèrent à 25 dans un grand wagon ; derniers adieux et à 0 h.47 – selon les notes de Paul Hermand – on se mit en route ; Béziers, Lunel, Avignon, Lyon, tout cela dans une certaine euphorie malgré les plaisanteries énervantes d’un certain Legrand qui nous parlait de la Poméranie eu de ses plaisirs ; il avait bien deviné mais n’est quand même pas descendu du train !
Nous fûmes brutalement tirés de notre torpeur le 7 septembre au passage de la ligne de démarcation à Chalon-sur-Saône : le bruit des bottes allemandes sur le quai, la rafle de nos révolvers, la fermeture des portes de nos wagons et l’adjonction à l’avant et à l’arrière d’un wagon de sentinelles ne laissaient rien présager de bon.
J’avais posté pour Simone une lettre dont le cachet mentionne « Entrepôt de Peyraud-Ardèches » ; elle est datée du 6-9-40 et j’y écrivais « nous sommes arrêtés à une cinquantaine de kilomètres de Lyon, il fait une chaleur torride, le wagon est sale et je suis tout de noir de poussière de charbon. Enfin cela ne durera pas longtemps, je vous écrirai dès que je serai arrivé en Belgique … ou en Silésie ».
Maintenant le train fonçait vers le nord ; nous arrivons à liège le 10 et, lors d’un arrêt à la gare des Guillemins, je jette une lettre par la lucarne ; elle arrivera à son destinataire, mon grand-père Gustave Legrand. Nous savons à ce moment-là que nous roulons vers l’Allemagne ; Paul Hermand a fait passer un message à sa famille en traversant Namur, d’autres en ont fait autant : nos familles de proche en proche seront alertées.
Bientôt c'est Roermond atteint par de petites lignes, où nous recevons notre première soupe aux pois, la Wehrmachtsoupe, qui sera avalée avec le goût amer de la déception. Puis c’est l’Allemagne à petite vitesse car la priorité est donnée aux vainqueurs ; Aix-la-Chapelle Dusseldorf où on passe le Rhin et on accélère sur la grande dorsale qui traverse le pays d’ouest en est ; voici Berlin entre aperçu pendant un bombardement (déjà) et après avoir traversé un pays tout plat où nous ne connaissons plus rien, au milieu d’une étendue de sable, la petite gare de Hammerstein, tout le monde descend ! Nous sommes reçus sur le quai par un colonel allemand parlant un français compréhensible qui s’excuse de l’inconfort de son camp non prévue pour des officiers, mais nous n’y resterons pas longtemps car bientôt tous les belges seront renvoyés chez eux.
Limoux-Hammerstein, voyage gratuit ; j’ai le souvenir qu’il ne fut pas trop morose et même qu’il fut joyeux grâce à « la marquise », notre camarade André Dumont, qui avait perdu ses grands airs au profit d’une apparente gaieté. Lors de son court séjour à Montpellier il avait entendu et retenu les chansons des carabins locaux et, grâce à lui, nous chanterons en train, au camp, à la promenade et à la barbe des populations allemandes qui regardait défiler, médusées, ces prisonnier rigolard qui scandaient « une, deux, ein, zwei », le cordonnier Pamphile, l’Artilleur de Metz et autres horreurs.
C’était comme si un esprit malicieux s’était embarqué avec nous dans ce convoi de malheur, avait endormi nos réflexes, annihilé notre esprit et nous livrait, port payé, au commandant si poli et prévenant de notre premier camp, le Stalag II B en Poméranie.

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