mardi 6 octobre 2009

Chapitre 8 : Juliusburg, Oflag VIII C – Oct. 40 – Juin 42


Rappel historique
Fin 1940 : Bataille d’Angleterre ; les allemands n’arrivent pas à détruire par leurs bombardements la volonté de lutte des anglais
1941 : Année faste pour l’Allemagne.
Mars : les allemands viennent à l’aide des italiens en Libye et repoussent les anglais.
            Avril : invasion et conquête de la Yougoslavie et de la Grèce
            Mai : conquête de l’île de Crète
            Juin : invasion de l’URSS, avance rapide, prisonnier nombreux ; les allemands sont devant Moscou et Leningrad en octobre
            Décembre : entrée en guerre du Japon, qui attaque les USA. Mais fin 1941,1es allemands sont repoussés devant Moscou, doivent reculer de plus de 150 kilomètres et ont de lourdes pertes.
1942 : au printemps, offensive allemande vers Stalingrad et le Caucase, échec devant Stalingrad.
            Novembre : contre-attaque anglaise en Libye, recul rapide allemand.
                             Débarquement allié en Algérie et au Maroc.
L’armée allemande de Stalingrad est encerclée ; elle devra capituler début 1943

Juliusbourg est une bourgade située en basse Silésie, pas loin de Breslau ; maintenant cette région a été rattachée à la Pologne. Le camp où nous fûmes enfermés était un pensionnat de jeunes filles tenu par des religieuses. Pour nous accueillir, il devint l’Oflag VIII C par l’édification d’une double haie de fil de fers barbelés séparés par des rouleaux de barbelés entassés entre les deux haies ; vers l’intérieur, un fil bas nous empêchait d’approcher à moins de trois mètres. Aux quatre coins, des miradors surveillaient l’intérieur du camp ; les couloirs du bâtiment avaient été murés pour laisser l’usage de l’une des ailes aux religieuses, qui continuaient à exploiter une ferme contigüe.
Nous étions donc maintenant dans un Oflag, camp d’internement pour officiers ; il y avait, outre 325 officiers belges, 65 officiers hollandais de l’armée d’Indonésie, 84 sous-officiers et soldats belges faisant fonction d’ordonnances. Il faut dire que, si les officiers hollandais avaient été libérés après la capitulation de leur armée, ceux qui appartenaient à l’armée des indes néerlandaises et qui étaient aux Pays-Bas par hasard en mai 1940, ne le furent pas. C’était presque tous des Malais, animés d’une haine féroce des allemands et d’un esprit de résistance qu’aucun échec allié ne diminuait ; parmi eux, un certains princes Bayatto était un joueur d’échecs imbattable qui organisait des parties simultanées, où il jouait contre 20 adversaires et gagnait plus de la moitié des parties.
Les japonais, que leur armée allait bientôt combattre à Bornéo, Java et Sumatra, réservaient à leurs compagnons d’armes un sort bien plus terrible. Une de nos amies hollandaise, Hetty Dijckstra, qui avait 15 ans au moment de la conquête de Sumatra par les japonais, y fut prisonnière pendant cinq ans dans la jungle et, si elle survécut avec sa mère et son petit frère, son père ne s’en tira pas.
C’est à Juliusburg que nous avons perdu tout espoir d’être rapatriés car cet été là, les allemands gagnaient sur tous les fronts. La vie devint rapidement celle de tout reclus qui passe le temps à survivre malgré les déconvenues, la faim, la tristesse, les alternatives d’espoir et de désespoir. Tout cela nous avait soudés, nous les 43 appliqués de trois promotions, et amenés à nous organiser par deux ou trois pour augmenter les chances de tenir le coup. Jamais nous n’avons pensé que la captivité durerait si longtemps, heureusement d’ailleurs car nous aurions perdu courage ; grâce à une radio clandestine nous avons été au courant de l’échec allemand devant Moscou et du désastre de l’hiver 41-42, ce qui nous incitait à clamer plus fort que jamais le slogan qui clôturait toutes les discussions sur l’évolution de la guerre : « et puis, de toutes façons, quoiqu’il arrive, les boches sont foutus ! »
Le couvent comportait un bâtiment de façade et trois ailes ; et nous en fallu deux comme pour des anges déchus que nous étions malgré nos étoiles dorées. Sur deux étages de lits, on entassa la plupart des Appliqués à 52 dans la plus grande chambre qui portait le numéro 107 et deviendra pour les gardiens « das berühmte Zimmer 107 ». Je me trouvai dans un coin en bas avec, à côté de moi, Victor Houillet avec qui j’étais « en ménage », partageant les corvées de la vie journalière et les colis reçus ; au dessus, Nick Kaivers, grand fantaisiste et merveilleux joueur d’harmonica, et a côté de lui son inséparable Legrand, toujours aussi pince-sans-rire. Paillasse avec housse et couverture, pas de poêle mais le chauffage central toujours froid : c’était tout de même réconfortant ce symbole du confort qui, par -32° nous évoquera de tièdes soirées familiales. C’est à Juliusburg que le premier colis nous arriva à Victor et à moi, de Limoux grâce à la diligence de Mme H et de la Croix-Rouge française.
Au moyen de boîtes de conserve reçues, dégustées, lavées, et soigneusement mises de côté, nous allions très vite inventer la « choubinette », réchaud à double combustion qui brûlait du bois ou du papier et qui nous permettra de cuisiner les denrées reçues du camp ou dans les colis ou échangées au marché noir. Celui –ci était en fait un marché d’échange ;  la monnaie de base était la « Junac », mauvaise cigarette polonaise distribuée par le camp ; la formule fondamentale, établi par notre chef de chambré, le capitaine Leclercq, était « trois Junac pour une part de beurre, deux Junac pour une Belga » ; à partir de là, se basant sur une table des valeurs alimentaires exprimées en unités  herbagères fourragères trouvée dans une publication à l’usage des vétérinaires, il calculait la valeur d’échange de n’importe quoi, ce qui entraînait d’énormes discussions et de bonnes parties de rigolade.
Un seul repas était pris en commun au réfectoire, vaste salle servant tour à tour de salle de réunion, théâtre, récréation et mangeaille ; il y avait deux services pour le repas de midi qui consistait en une soupe de légumes fournis par les mains pieuses des jardinières conventuelles ; nous allions en file, la gamelle à la main (j’avais une belle gamelle française gravée dans son aluminium de noms et de dessins, échangée à Hammerstein à un soldat français contre je ne sais plus quoi ; je l’ai gardé bien longtemps, puis elle a disparu dans un déménagement) pour recevoir notre louche que l’on mangeait à table sur place. Ou distribuait dans les chambres le « café » (un jus infect de malt ou d’un autre ersatz) du matin et du soir, ainsi que le pain, la marga, et la « wurst », le fromage ou la marmelade qui l’accompagnait. Je vous assure qu’il ne restait aucune miette tombée de la table du seigneur et, la table une fois desservie, les nourritures spirituelles faisaient notre dessert.
Personne ne doute que « l’homme n’a pas besoin que de pain » ; aussi, une fois le pain assuré, l’objectif second de tout interné, en Russie, en Chine ou en Allemagne est de se distraire, de tuer le temps, cet ennemi perpétuel du prisonnier. Cours d’anglais, d’allemand ou de russe, livres de la maigre bibliothèque, jeu de dés, de cartes, whist, King, bridge, poker ou belote. Nos promenades étaient limitées par les barbelés qui nous enfermaient dans une cour exigüe mais certains (pas moi) parvenaient à y jouer au deck-tennis et au volley-ball. Les allemands nous avait autorisés à acheter des instruments de musique : ce fut une vraie débauche ; rien que dans notre chambre il y avait deux guitares, trois banjos, cinq ou six harmonica à bouche et une mandoline que je m’étais offerte (comme je n’ai aucune oreille, je me suis jamais parvenu réellement en jouer) ; pour éviter que tout le monde ne devienne fou, on avait fixé deux périodes de musique, une demi-heure juste avant la soupe de midi et une heure l’après-midi ; le début et la fin était indiqués par de vigoureux accords de banjo donné par Jeanmart – un futur colonel des fabrications militaires -, ce qui déclenchait la cacophonie générale et la fuite de ceux que la « musique » n’intéressait pas.
Notre chambre de 52 jeunes de 21 à 25 ans n’était pas un havre de silence, ce qui nous valut des disputes avec les chambres voisines où logeaient de vieux officiers de toutes catégories, payeurs, pharmaciens, aumôniers et autres, ramassés comme nous dans les arrières de l’armée belge repliée dans le midi. Quand le chahut se prolongeait trop après l’heure d’extinction des lampes, c’est avec les sentinelles, qui arpentaient les couloirs de nuit, que nous avions des démêlés ; parfois même nous parvenions à faire venir le sous-officier de service ou à faire se lever l’officier de garde : gros succès à notre point de vue mais source de remarques acerbes des « vieux » du genre « vous allez nous attirer des ennuis avec vos gamineries ».
autre cause de tumulte, l’ouverture des fenêtres la nuit par les -32° de l’hiver 40-41 ; tous les soirs, c’était la même discussion pour savoir si nous allions périr asphyxiés par la respiration des 50 dormeurs, ou si nous allions geler, ou laisser geler ceux qui étaient proches des fenêtres ; ceux qui en était éloignés en appelaient à la « sélection naturelle » et aux théories de l’évolution des espèces ! Je crois que nous avons été alternativement gelés et asphyxiés sans que l’on doive évacuer de moribonds.
Bientôt les officiers de réserve flamands furent rapatriés. Certains flamands d’active sont dirigés vers un camp spécial où ils seront soumis à une propagande intense ; certains – mais aucun Appliqué – rejoindront plus tard la Wehrmacht sur le front russe. Ceux qui vivaient encore en 1986, nous les avons revus à la TV, essayant de défendre leur conviction d’antan et y réussissant bien mal, tel ce commandant Hellebaut qui quitta le camp de Prenzlau en 1943 pour aller commander la légion wallonne, troupe belges sous l’uniforme allemand. Jugé à la fin de la guerre, condamné à mort mais non exécuté, il sera libéré en 1983, à temps pour participer, un an avant de mourir, à l’émission « l’ordre nouveau » où il plaidera sa cause avec une mauvaise foi et des sarcasmes indignes. Son homologue Léon Degrelle, lui aussi condamné à mort par contumace, réfugié en Espagne, naturalisé espagnol et non extradable, continue ses exhibitions burlesques, affligeantes et mensongères devant les caméras de la TV.
Mais la vie dans le camp continuait, et comme la guerre est un grand drame plein d’horreur, nous y mettions quelques entractes reposants. C’est ainsi que nous avons monté une pièce de notre cru « Yolande de Courteclache », pièce drôle, satirique et dont la préparation nous donna beaucoup de joie ; on fit aussi, dans la chambre 107, une revue représentant la captivité à différentes époques, romaine, guerre de 100 ans, etc. , ce qui nous permettait de nous manquer allègrement de tous ces « vieux » qui ne voulaient pas ennuyer les allemands par crainte des ennuis ; une pièce plus sérieuse vint prouver les talents de comédiens de certains d’entre nous , y compris dans les rôles de femme et mes aptitudes de peintre de décors, dont les maquettes étaient l’œuvre de Charlie Binamé dont je reparlerai.
Au printemps 1942, deux amis, Remy (frère de Hergé et prototype de Tintin) et Ponsard, décidèrent de s’évader et réussirent à sortir du camp. Pendant cinq jours, toute la chambre, par des tours de passe-passe, réussit à camoufler leur absences ; des comparses ayant endossé les vêtements et l’identité des manquants, répondaient pour eux aux appels, jusqu’au moment où ils furent repris. C’est alors qu’en ramenant les fugitifs au camp, les allemands furent confrontés à deux Rémy et deux Ponsard, tous authentiques ! Il fallut bien alors avouer la supercherie.
J’ai déjà parlé du poste clandestin de radio ; grâce à lui et au service de diffusion dont on lisait les bulletins dans chaque chambre tous les soirs, nous savions que l’offensive allemande, jusque là foudroyant, avait connu un arrêt brutal en novembre devant Moscou, et qu’en décembre, alors que ce terrible hiver bat son plein, la Wehrmacht a dû reculer par endroits de plus de 200 kilomètres. Les communiqués continuent à claironner l’issue favorable de « durs combats défensifs », mais Hitler à imposé à ses généraux de concentrer les troupes dans les villes et de les y laisser encercler par les russes, qui foncent dans les intervalles. Sur une grande carte au mur de la chambre nous portons avec deux bouts de laine de couleurs différente le front selon les communiqués allemands et celui que nous fournit la BBC ! Mais aussitôt une fouille du bâtiment est opérée, qui laisse le poste introuvable. Je n’ai personnellement jamais su où il était caché ou qui s’en occupait.
Tandis que le froid s’intensifie, nous ne quittons pratiquement plus nos vêtements, nos manteaux qui servent la nuit de couverture supplémentaire. Et le soir, pour nous réchauffer, nous organisons un jeu de roulette ! Il a beaucoup de succès dans le camp ; certains s’y ruineront et l’un d’eux fera vendre une maison en Belgique pour payer ses dettes. Dans l’espace étroit entre le bâtiment et le barbelé, les prisonniers se promènent, tournent en rond par deux, par trois ou seuls, les mains dans les poches, le col relevé autour des oreilles que le képi ou le calot ne couvrent pas, croisant les sentinelles bottées, casquées, qui patrouillent de l’autre côté du barbelé sous l’œil vigilant des miradors.
Ni puces, ni poux dans ce camp ; le pensionnat de jeune fille avait des lavoirs et des douches ; un seul de nos camarades devra être passé de force sous la douche, tondu et rasé d’autorité ; on l’appelait « barbe à poux » ; il refusait de se laver de se raser, broyait du noir et fut rapatrié pour cause de folie… simulée ou pas ? De toute façon il avait roulé les allemands.
Nous sommes restés un an et neuf mois dans ce couvent, souffrant du confinement, du froid mais assez peu de la faim, sauf tout au début avant que les colis n’arrivent ;  comme j’étais maigres comme un clou, peut-être avais-je moins besoin de manger que les plus gros ?

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Quelle bonne surprise !

    A la recherche d'informations sur la vie de PG à Juliusburg où mon père Guy PONSART avait partagé la vie de la remuante chambrée de la "Berühmte Zimmer 107", je tombe sur votre excellent compte-rendu très bien replacé dans son contexte historique.

    J'y trouve comment le groupe d'officiers prisonniers s'était évertué à camoufler l'évasion de deux amis, Paul REMY et Guy PONSART.

    Ce dernier raconte :

    "Avril 1941. L’idée de base était la suivante : se glisser en surnombre dans un groupe d’officiers se rendant à une plaine de sports proche en vue d’y organiser le terrain pour l’été.

    Les officiers étaient comptés à la sortie du camp, la porte d’enceinte était ouverte, on se rendait sous bonne garde au terrain. Une fois sur place, les deux candidats devaient être enterrés dans un sautoir, ce qui fut fait.

    Les gardes encadraient la plaine, totalement nue, y compris les abords.
    Au moment du retour, le groupe se reformait, était compté, regagnait le camp; avant de franchir l’enceinte, il était à nouveau compté; la porte était ouverte; une fois dans le camp, il était encore compté.

    C’est ce qui se produisit. A la sortie, au lieu du groupe de 40 officiers autorisés à sortir (par exemple), il y en avait 42.
    Mais un désordre et un flottement savamment organisés permirent d’en dissimuler deux. Le compte de « 40 » fut accepté et les portes furent ouvertes.

    A la plaine, nous fûmes enterrés dans le sable d’un sautoir. On siffla le retour. Le groupe se rassembla, fut compté. Un garde, avec son chien, fit le tour de la plaine, mais sans conviction puisque le compte y était ! Le chien fit le tour du sautoir, son maître le rappela. Le groupe repartit.

    Nous avions convenu que des amis entonneraient un chant quand ils auraient réintégré le camp. C’est ce qui se fit.

    Nous sortîmes de nos trous et prîmes la route de Breslau (30 bons kms). Nous passâmes le nuit du 28 au 29 dans un cimetière d’autos. Sur place, nous entrâmes en contact avec un commando de soldats français qui devait nous mettre en wagons le lendemain… mais nous fûmes repris par la Schutz Polizei dans le 29 l’après-midi.

    Le reste aurait tenu du vaudeville si la Schutz Polizei ne nous avait pas remis à la Gestapo.

    Nous fûmes enfin ramenés au camp le lendemain, 1 sous-officier, 4 soldats, l’arme à la hanche : « Ein Fusz links, ein Fusz rechts, abgeschossen ».

    Il y avait tout de même eu un ou l’autre moment critique !"

    L'évasion évoquée ci-dessus avait été précédée d'une première évasion réussie en mai 1940 où Guy PONSART s'était échappé d'une colonne de prisonniers capturés par les Allemands dans les Flandres. Elle avait été suivie de 3 tentatives d'évasion très risquées du camp de Prenzlau en 1943-1944.

    Un grand merci pour ce nouvel éclairage sur
    le vécu de ces captifs qui ont passé 5 de leurs plus belles années à tourner comme des lions en cage derrière les barbelés de leurs Oflags.

    Puisse leurs témoignages et leurs sacrifices être utiles aux générations qui les suivent pour qu'ils savourent et préservent la liberté qui leur a été transmise.

    Alain PONSART

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  2. Bonjour, tout le monde, je suis Adrik Vadim vivant à Kurgan City, je veux partager avec vous tous ici comment M. Benjamin m'aide avec un prêt de 15,000,000.00 roubles pour démarrer ma livraison de boissons alimentaires après tout ce que j'ai travaillé plusieurs hôtels ici à kurgan juste pour gagner ma vie mais malheureusement j'avais encore des difficultés à payer un loyer mais je remercie Dieu maintenant que je suis un travailleur indépendant maintenant avec 5 travailleurs qui travaillent à ma charge. Juste si vous recherchez la liberté financière, je vous conseillerai de contacter M. Benjamin avec cet e-mail ci-dessous et le numéro d'application. 247officedept@gmail.com + 1-989-394-3740

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